“C’est de qualité dont nous avons besoin : qualité des relations, qualité des céréales”
Depuis de nombreuses années, des femmes créent leurs propres entreprises de transformation agro-alimentaire en valorisant des produits agricoles locaux et en mettant sur le marché des aliments originaux et accessibles aux populations urbaines. L’objectif du projet CDAIS est d’appuyer leur développement en renforçant leurs capacités à expérimenter et apprendre ensemble, ainsi qu’à négocier et contractualiser avec leurs fournisseurs et distributeurs. L’unité Dakoupa est l’une des unités de transformation soutenues et accompagnées par le projet CDAIS dans le cadre de la Situation d’Innovation Localisée « Micro entreprises familiales de transformation agro-alimentaire dirigées par des femmes » au Burkina Faso.
La cour de la maison est calme, ordonnée et propre. Comme dans la rue, le sol est en terre battue, de cette terre rouge et sèche qui s’envole au moindre coup de vent et se dépose dans tous les recoins de l’unité. En dehors de quelques sacs de maïs visibles sous le porche, rien ne traine, comme dans une maison traditionnelle bien tenue. Mais les apparences sont trompeuses : qui croirait que cette cour est une usine de transformation alimentaire et une entreprise qui emploie 6 femmes ? Madame Gnoula est la gérante de cette unité de transformation depuis plus de 10 ans. L’expérience qu’elle a acquise et, plus récemment, le support du projet CDAIS lui a permis de développer son entreprise, son réseau et de nouer des relations de confiance avec des producteurs et des revendeurs.
“ Ce que nous faisons comprendre aujourd’hui aux producteurs c’est: si vous nous produisez de bonnes céréales, nous les achèterons à un bon prix !” Mme Dambélé/Ouande, transformatrice, Bobo Dioulasso
Les femmes montrent le chemin
La région de Bobo Dioulasso dans le sud ouest du pays a des sols fertiles et une pluviométrie assez importante. Elle possède une importante production de céréales, mais peu de débouchés. La filière de transformation agro-alimentaire soutenue par le CDAIS est donc fondamentale pour le soutien et le développement des différents acteurs : producteurs, transformateurs·rices, intermédiaires, revendeur·ses…
Le projet CDAIS soutient Mme Gnoula dans son rôle de transformatrice et le succès de son entreprise. L’une des principales difficultés des entrepreneuses sont les relations avec les producteurs, et notamment l’instauration de relations de confiance. Pour cela, les femmes entrepreneuses travaillent régulièrement avec les producteurs de céréales, grâce à l’appui des facilitateurs du CDAIS. « Nous avons fait un atelier avec les producteurs de céréales pendant lequel nous avons pu échanger sur nos besoins en terme variété et de qualité des céréales. Les producteurs ont de leur côté pu nous expliquer leurs contraintes, mais aussi partager entre eux sur des techniques de productions car il y avait des producteurs de différentes régions » explique l’une des participantes à cet atelier.
Les producteurs, ce ne sont pas des gens aussi simples que ça!” s’exclame Mme Gnoula, présidente de l’unité Dakoupa à Bobo Dioulasso. transforme du maïs, du fonio, du sorgho ou encore du mil en couscous ou en dégué. Les unités de transformation des produits agroalimentaires sont traditionnellement tenue par des femmes car ce sont elles qui gèrent l’alimentation dans les maisons. Mais c’est autre chose que de monter une entreprise de transformation » dit Mme Gnoula
Le second axe d’accompagnement des transformatrices est le travail d’élaboration de contrats encadrant les transactions autour des semences. Madame Dambélé Ouandé gère l’unité de transformation Wendmanegda, située à quelques rues de l’unité Dakoupa. Depuis qu’elle est accompagnée par le projet CDAIS, elle se sent plus forte dans les relations de négociations avec les producteurs car elle sait ce qu’elle veut et sait l’exprimer. « La qualité des céréales est fondamentale pour nous car tout le processus de transformation en dépend : pour faire du bon couscous de mil, il nous faut des bonnes céréales!» explique-t-elle, c’est pourquoi « le contrat ne devrait pas forcément fixer le prix à l’avance, mais devrait s’accorder sur la qualité et la quantité des céréales ».
Les contraintes d’une femme cheffe d’entreprise
Mme Gnoula et Mme Dambélé font face aux mêmes difficultés : avec les producteurs d’un côté, et avec leurs employées de l’autre. Parfois, les producteurs mélangent des cailloux et des restes de fauchage au maïs afin que le sac soit plus lourd. Dans ce cas, les employées des unités de transformation passent des heures à trier le maïs à la main, afin de séparer le bon grain du mauvais. C’est un travail inconfortable, long et fatigant pour les femmes qui le réalisent. C’est pour cela qu’ « il est difficile de garder les femmes longtemps dans ce travail car je n’ai pas les moyens de les payer plus pour le travail supplémentaire qu’elles font. Et pourtant, c’est un travail essentiel pour l’entreprise » explique Mme Dambélé.
« Une bonne cheffe d’entreprise doit construire des relations de confiance avec les producteurs et en même temps ne pas se laisser marcher sur les pieds » Mme Gnoula, Bobo Dioulasso, Burkina Faso
L’approche du CDAIS : créer des espaces pour le partage
L’équipe d’accompagnement mène des activités de formation et d’échange entre producteurs de céréales et entrepreneuses. Cette mise en relation a permis d’échanger des contacts pour des collaborations futures. Ces rencontres, innovantes car peu réalisées auparavant, permet aux différents acteurs de la filière d’être en collaboration dans le cadre des chaînes de valeurs agricoles performantes.
L’atelier d’échange réalisé le 7 décembre 2017 a été animé par le Dr Traoré, chercheur à l’INERA, et R.Kiogo, facilitateur de la situation d’innovation localisée (SIL) Micro entreprise familiale soutenue par le CDAIS. Cette journée a permis de réunir une quinzaine de de producteurs de la région et 5 femmes transformatrices, membres du Réseau des Transformatrices de Céréales du Faso (RTCF).
Cette journée a mis l’accent sur l’échange d’information pour une meilleure collaboration : le Dr Traoré a d’abord présenté différentes variétés de céréales, certaines inconnues des producteurs, leur potentiel de rendement et leur intégration dans la chaine de transformation. Les femmes présentes ont ensuite interpellé les producteurs en mettant en avant leurs besoins en céréales de qualité, correspondantes aux processus de transformation dans lesquels elles sont impliquées.
“Ce cadre d’échange est absolument nécessaire : on a l’habitude de mise en relation entre producteurs et distributeur mais pas vraiment entre producteurs et transformatrices. C’est formidable.” Dr Traoré, chercheur à l’INERA
La dynamique entrepreneuriale soutenue par la recherche
Mme Gnoula a su s’intégrer dans les différents projets de recherche menées au Burkina. Grâce à ces réseaux, elle a pu acquérir un séchoir développé par le CIRAD et l’IRSAT qui correspond à ses besoins. Le séchoir, acheté depuis un an et demi, lui permet de répondre à la demande de farine en 3h. Du fonio aux grumeaux de dêguê, la variété des aliments qui peuvent être séchés dans le séchoir est large, seule la farine de mil ne peut passer par le séchoir. « L’avantage du séchoir, c’est que la qualité est meilleure, le séchage est plus rapide, et surtout je peux travailler en toute saison » explique Mme Gnoula. Les tables de séchages, qui ne peuvent pas être utilisées lorsqu’il pleut ou lorsqu’il y du vent, sont donc moins utilisées depuis l’arrivée du séchoir.
Tout comme le CDAIS, ces travaux de recherche directement orientés vers l’amélioration de la filière en fonction de la réalité des entrepreneurs sont particulièrement intéressants pour Mme Gnoula car ils apportent des réponses concrètes à des freins au développement de son entreprise. C’est le cas du soutien du CDAIS pour l’élaboration de contrats d’achat de céréales pour sécuriser les échanges, mais aussi du contrat de bail de la parcelle. En location depuis 2 ans, Mme Gnoula n’a jamais signé de contrat de location qui lui garantisse la stabilité de son entreprise : les accompagnateurs du CDAIS la sensibilisent au besoin d’un tel contrat pour sécuriser sa location et ainsi réduire la vulnérabilité de l’entreprise. Ils l’accompagnent dans cette démarche de négociation qui, même si elle lui paraît difficile, est un enjeu important. L’entrepreneuse s’engage à prendre contact avec le propriétaire.
Avancer, toujours avancer…
Etre transformatrice dans une petite unité familiale au Burkina Faso est un défi au quotidien : insécurité de la fourniture des matières premières, méconnaissance des prix des céréales, absence de contrat encadrant les échanges, débouchés instables. Si le CDAIS travaille en partenariat avec les entrepreneuses, les challenges restent encore nombreux. Mais Mme Gnoula garde confiance. Sur la porte de l’atelier, un papier scotché donne une interprétation de la citation de Martin Luther King : « Si quelqu’un est appelé à balayer les rues, qu’il le fasse tellement bien que toutes les armées célestes et que tout l’humanité puissent proclamer un jour « ici vécut un grand balayeur de rue qui excellait dans son travail ». Mme Gnoula se dit portée par cette citation : « même si notre travail nous semble insignifiant, nous devons le faire avec dédication car tout travail est important à son niveau.
“ Ce n’est pas toujours facile de mettre en œuvre les bonnes pratiques. Dans mon atelier par exemple, je n’ai pas la possibilité de tout séparer, alors que je sais que ce serait mieux. C’est la fameuse « marche en avant » : on continue à avancer même si on sait que tout n’est pas parfait.” Mme Gnoula, transformatrice, Bobo Dioulasso